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Droit

Maladie professionnelle et fonction publique/ Faire reconnaître ses droits 

 

Le drame vécu par Alain Mouzon nous conduit à faire un point sur les modalités de reconnaissance de l’imputabilité d’une maladie à l’activité professionnelle notamment en cas de harcèlement moral. Ce court article pourra ainsi être utile à celles et ceux qui se trouvent confrontés à une telle situation.

la fonction publique déroge aux règles qui régissent le secteur privé. C’est vrai pour ce qui concerne le droit du travail mais aussi et parfois pour ce qui concerne la protection sociale. Les statuts qui réglementent les corps et cadres d’emplois de la fonction publique distinguent deux expressions pour évoquer les maladies en lien avec le service :

  • la maladie professionnelle: ce terme apparait parfois dans un texte statutaire. C’est le cas, par exemple du texte relatif à l’allocation temporaire d’invalidité (ATI). L’expression « maladie professionnelle » est habituellement utilisée dans le cadre du régime général de sécurité social. (Le Livre 4 du code de la sécurité sociale est ainsi titré : «  Accidents du travail et maladies professionnelles » et l’article L. 461-1 de ce code liste par renvoi à des tableaux, les maladies présumées  professionnelles)
  • la maladie contractée ou aggravée en service: il s’agit de l’une des causes exceptionnelles (prévues à l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, lequel vise notamment le cas où la maladie a été contractée ou aggravée en service), pour laquelle la maladie dont le fonctionnaire est atteint ouvre droit à des prestations importantes (l’intéressé conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite).

Dans tous les cas, les statuts ne prévoient pas de liste de maladies pour lesquelles une présomption d’origine professionnelle serait établie. Le fonctionnaire doit dès lors établir un lien de causalité entre sa maladie et le service.

 Le juge administratif a parfois admis de se référer aux dispositions de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale quand, dans les textes statutaires applicables aux fonctionnaires, apparaît la notion de « maladie professionnelle ».

 En revanche, le juge a exclu l’application de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dans les litiges faisant intervenir la notion de « maladie contractée ou aggravée en service ».

 La règle est que le juge doit apprécier si le demandeur apporte la preuve de l’imputabilité au service de la maladie contractée, c’est-à dire de l’existence d’un lien de causalité direct entre les deux. Telle est en effet la manière dont on procède, en matière d’accident du travail comme de maladie contractée en service, et de manière générale lorsqu’il s’agit de déterminer si la responsabilité de la puissance publique est engagée. Cette ligne est illustrée, entre autres, par une décision du 19 juillet 1991, ministre c. Masse, n° 89124, concernant le cas d’un fonctionnaire atteint d’une dépression nerveuse, ou encore une décision 25 juillet 2005, Contal, n° 251976, relative à un cas de maladie psychiatrique.

 Mais lorsqu’il doit déterminer si une maladie est imputable au service, le juge commet une erreur s’il se croit lier par la présomption instituée par l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale. Il jouit en effet d’une liberté bien supérieure dans la mesure où il lui revient d’apprécier, au gré des espèces, l’importance qu’il donne aux indications qui résultent de ces tableaux pour, selon les cas, s’en inspirer ou s’en écarter.

 Il convient donc de parler de maladie contractée en service. Mais il s’agit de sémantique, et que l’on parle de maladie contractée en service, maladie professionnelle ou maladie à caractère professionnelle, il conviendra d’établir un lien de causalité entre la maladie et le service car l’administration et le juge ne se fondent pas sur des listes au demeurant inexistantes dans la fonction publique.

 Dans le cas du harcèlement moral, il appartient à l’agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

 Le 11 juillet 2011, le Conseil d’Etat dans sa décision Mme Montaut N° 321225 atrès clairement établi les modalités à suivre pour déterminer l’existence du harcèlement moral ou non et les rôle des différents acteurs dans le contexte de harcèlement :

 « Considérant, d’une part, qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ;

 Considérant, d’autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral ; qu’en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé ; »

 Il existe le cas douloureux des agents publics dont le décès est imputable à une maladie contractée ou aggravée dans le cadre du service, une dépression par exemple. La difficulté pour les ayants droit est d’accéder à toutes les pièces utiles leur permettant de défendre les droits du défunts. L’une des difficultés principales est d’accéder au dossier médical de la personne décédée et donc d’obtenir la levée du secret médical qui perdure même après lé décès de l’intéressé. L’article L. 1110-4 du Code de la santé publique indique que, sauf volonté contraire de l’intéressé exprimée avant son décès, le secret médical ne s’oppose pas à ce que les ayants droit de la personne décédée reçoivent des informations la concernant dans l’unique mesure où elles leur sont nécessaires pour connaître les causes de la mort, défendre la mémoire du défunt ou faire valoir leurs droits (V. aussi Code de la santé publique, art. R. 1111-7). Hélas, de nombreux médecins ignorent ces dispositions ou craignent en les appliquant d’aller au-delà de ce qui est autorisé par le code de la santé publique. Dans ce cas, il est nécessaire d’adresser une demande écrite au médecin ou à l’organisme au sein duquel il exerce son métier. En cas de refus de communication du dossier médical, qui est un document administratif, il convient de saisir la CADA pour obtenir son avis et la communication du dossier. En cas de refus persistant du corps médical, un recours devant le juge administratif est alors nécessaire. On voit à quel point la procédure peut être longue et forcement douloureuse pour celles et ceux qui souhaitent obtenir les pièces d’un dossier médical pour défendre les intérêts de la personne décédée.

Enfin, toute demande de reconnaissance de maladie professionnelle doit être adressée à l’administration dont dépend statutairement l’agent concerné. L’administration peut soit répondre favorablement à cette demande, soit opposer un refus mais dans ce cas, elle ne peut opposer un refus sans avoir au préalable effectué la saisine de la commission de réforme pour avis.

CJA DroitsEn résumé et …..pour approfondir :

 Textes applicables aux agents de l’Etat :

  • loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires,
  • loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat ;
  • décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l’organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d’aptitude physique pour l’admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;

 Aux termes de l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 susvisée : « Le fonctionnaire en activité a droit : / (…) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions. (…) / Toutefois, si la maladie provient de l’une des causes exceptionnelles prévues à l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident ; / (…) » ;

Aux termes de l’article 13 du décret du 14 mars 1986 : « La commission de réforme est consultée notamment sur : 1. L’application des dispositions du deuxième alinéa des 2° et 3° de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée (…)  » ;

Aux termes de l’article 26 du même décret : «Sous réserve du deuxième alinéa du présent article, les commissions de réforme prévues aux articles 10 et 12 ci-dessus sont obligatoirement consultées dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l’article 34 (2°), 2° alinéa, de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. Le dossier qui leur est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné. / La commission de réforme n’est toutefois pas consultée lorsque l’imputabilité au service d’une maladie ou d’un accident est reconnue par l’administration »

En pratique :

Il résulte des dispositions susmentionnées que lorsque un fonctionnaire entend voir reconnaitre sa maladie ou son accident imputable au service, il adresse une demande en ce sens à l’administration. Si cette dernière reconnait l’imputabilité au service, la commission de réforme n’est pas consultée. Si l’administration n’entend pas reconnaitre cette imputabilité, elle doit saisir la commission de réforme pour avis sur cette imputabilité avant de se prononcer. Voir CE N° 375182 garde des sceaux, ministre de la justice c/ M. Dehaies 11 avril 2014

Extrait de Jurisprudence : « Considérant qu’il est constant que ni la décision implicite du 5 juin 2007 du ministre de la défense, ni la décision expresse du 20 décembre 2007 rejetant la demande de Mme SOIRFECK n’ont été prises après qu’ait été recueilli l’avis de la commission de réforme prévu par les dispositions de l’article 26 du décret du 14 mars 1986 précitées ; qu’il résulte de l’instruction que l’imputabilité au service de l’accident dont Mme SOIRFECK a été victime le 23 mars 2007 n’a pas été reconnue par l’administration ; qu’ainsi, la consultation de la commission de réforme prévue à l’article 26 du décret du 14 mars 1986 était obligatoire avant de rendre une décision sur la demande de Mme SOIRFECK de bénéficier des dispositions de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 précitées » ( CE N° 328714 Mme SOIRFECK 24 novembre 2010)

Lien avec sécurité sociale : aucun pour la reconnaissance de l’imputabilité au service !

Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale : « (…) Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau (…) »

« Considérant qu’aucune disposition ne rend applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique de l’Etat, qui demandent le bénéfice des dispositions combinées du 2° de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 et de l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les dispositions de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale instituant une présomption d’origine professionnelle pour toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans des conditions mentionnées à ce tableau.

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en faisant application des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pour annuler les décisions des 24 octobre 2008 et 16 février 2009 par lesquelles le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de la pathologie dont est atteinte Mme Lami-Hurier, inspectrice du Trésor, le tribunal administratif de Bordeaux a commis une erreur de droit. » (CE N° 349726 Ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, porte-parole du gouvernement c/ Mme Lami-Hurier 23 juillet 2012)

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